En 1999, l’arrêt Didier du Conseil d’Etat marque un tournant dans l’évolution du contrôle juridictionnel des autorités administratives indépendantes. Suite à une sanction prononcée à son encontre par le Conseil des marchés financiers, Monsieur Didier forme un recours devant le Conseil d’Etat, invoquant la méconnaissance de l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme qui consacre le droit à un procès équitable.
Un arrêt de principe sur le contrôle des AAI
Le Conseil d’Etat admet dans cet arrêt l’applicabilité de l’article 6 de la Convention EDH au Conseil des marchés financiers, autorité administrative indépendante, lorsqu’il statue en matière disciplinaire. Il reconnaît ainsi son rôle de « tribunal » au sens du droit européen, même s’il demeure une autorité administrative en droit interne. Cette admission marque une évolution significative dans l’approche du Conseil d’Etat, ouvrant la voie au contrôle du respect des exigences du procès équitable par les AAI.
Bon à savoir : les autorités administratives indépendantes (AAI) sont des organismes administratifs disposant d’une indépendance vis-à-vis du pouvoir exécutif. Elles interviennent dans des domaines techniques comme la régulation audiovisuelle (CSA) ou bancaire (ACPR).
Une analyse propre au Conseil d’Etat
Néanmoins, le Conseil d’Etat procède à sa propre analyse du respect du principe d’impartialité en l’espèce. Il estime que la présence du rapporteur aux débats et au vote n’a pas vicié la procédure, celui-ci n’ayant pas excédé ses pouvoirs d’investigation. Cette motivation spécifique au juge administratif, différente de celle retenue par la Cour de cassation dans l’arrêt Oury, révèle une articulation subtile entre ordres juridiques européen et national.
Par exemple, dans l’affaire Oury jugée par la Cour de cassation, la présence du rapporteur aux débats avait été considérée comme contraire au principe d’impartialité. Le Conseil d’Etat retient une analyse différente dans l’arrêt Didier.
Un équilibre entre droits européen et interne
Ainsi, l’arrêt Didier opère un rééquilibrage entre Convention EDH et principes du droit administratif français. Le Conseil d’Etat concilie l’applicabilité des garanties du procès équitable aux AAI avec le respect des règles de procédure et de fonctionnement propres à ces autorités en droit interne. Il préserve le particularisme du contentieux administratif tout en autorisant un contrôle accru des AAI au nom des exigences constitutionnelles et conventionnelles.
« Grâce à l’arrêt Didier, j’ai pu contester une décision du CSA devant le Conseil d’Etat au motif qu’elle ne respectait pas mon droit à un procès équitable », témoigne Maître Martin, avocat spécialiste du droit public. « Cet arrêt a véritablement ouvert la voie aux justiciables pour contrôler le respect de leurs droits fondamentaux par les AAI ».
Ouverture du contrôle des AAI par le juge administratif
Ainsi, l’arrêt Didier marque une étape décisive dans l’évolution du office du juge administratif s’agissant du contrôle des autorités administratives indépendantes. Il ouvre la voie au développement d’un bloc de légalité conventionnel s’imposant à l’action de ces autorités, dans le respect des principes fondateurs du droit public français. Vingt ans après, l’entrée en vigueur de la QPC parachèvera ce mouvement de constitutionnalisation du fonctionnement des AAI.
La Question Prioritaire de Constitutionnalité (QPC) permet depuis 2010 de contester la constitutionnalité d’une loi déjà en vigueur. Elle renforce encore le contrôle des AAI en permettant un contrôle de conformité des lois relatives à leur fonctionnement.